L’usage du terme maniérisme pour qualifier des œuvres littéraires est mieux accepté, et depuis plus longtemps, que celui de baroque : E.R. Curtius lui consacre un long chapitre dans La Littérature européenne et le Moyen-Âge latin, ouvrage daté de 1947 et dont les origines remontent à 1932. Curtius — c’est la force et la faiblesse de sa démarche — vide le terme de maniérisme de toute épaisseur historique pour en faire une catégorie atemporelle : à toutes les époques, les fragiles équilibres « classiques » ont tôt fait de dégénérer en « maniérismes » ; Le Tintoret s’oppose à Raphaël comme la Victoire de Samothrace aux khouroi de Phidias.
En rhétorique, Curtius définit ce maniérisme éternel au plan de la forme ; mais si l’on tient compte, davantage qu’il ne le fait, de l’inscription temporelle de la notion, le maniérisme se repère aussi à travers la récurrence d’une topique renvoyant à la crise de la conscience qui traverse la seconde moitié du XVIe siècle.
A la lumière de ces critères, on s’interrogera donc dans les pages ci-dessous sur l’intérêt qu’il peut y avoir à éclairer des auteurs (Montaigne, d’Aubigné, Donne) ou des courants (euphuisme, concettisme, Préciosité) par le recours à la notion de maniérisme ainsi définie.