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3.2.4. « Vagabonde Inconstance »

L’analyse wölfflinienne du baroque permit à Jean Rousset d’exhumer une foule de poètes oubliés, actifs à la charnière des XVIe et XVIIe, et dont l’œuvre s’éclaire lorsqu’on la confronte au vocabulaire stylistique et à l’esprit du baroque romain « bernino-borrominien ».

 3.2.2.1. Fixer des vertiges

En France, des poètes ont célébré le mouvement, la mutabilité, l’instabilité de la vie et du monde dans une perspective fort proche de celle des artistes romains. Pierre Motin (1566-1612), ainsi, célèbre l’inconstance en des vers que n’eût pas désavoués Le Bernin : « jouissent de l’inconstance : Bernin pourrait s’écrier comme lui que »L’âme de tout le monde est le seul mouvement" [1].

INCONSTANCE
Je veux dans un tableau la Nature pourtraire,
J’y peindrai la Fortune et le change ordinaire
De tout ce qui se voit sous la voûte des cieux,
L’Amour y sera peint d’une forme nouvelle,
Non comme de coutume avec une double aile,
Je lui en donne autant comme Argus avait d’yeux.
 
L’on y verra la mer et les ondes émues,
L’art avec ses éclairs, son tonnerre et ses nues,
Le feu prompt et léger vers le ciel aspirant,
Girouettes, moulins, oiseaux de tous plumages,
Papillons, cerfs, dauphins, et des conins sauvages
Qui perdent de leurs trous la mémoire en courant. [...]

Pierre Motin, originaire de Bourges, vécut à Paris, où il compta parmi les plus célèbres poètes de son temps, avec François de Malherbe. Boileau fut sévère avec lui dans son Art poétique (« J’ayme mieux Bergerac et sa burlesque audace / Que ces vers ou Motin se morfond et nous glace »). Il ne fut redécouvert qu’à la fin du XIXe siècle, par son éditeur Paul d’Estrée, en 1882. L’approche baroque permet de relativiser la critique « classique » adressée par le théoricien de la fin du siècle.

Roelant Savery, Paysage avec oiseaux
1628. Huile sur bois, Vienne, Musée d’art historique.

Le texte est moins une ekphrasis qu’un désir d’ekphrasis, une intention de peinture (« je veux... »), une aspiration à écrire un monde euphorique, bariolé et multicolore, un kaléïdoscope lumineux où s’entremêlent mouvements joyeux, lumières, fantaisies produites par un réel inépuisable, infiniment divers, généreux et fantasque. La nature semble en effet s’amuser à créer dans une profusion gratuite une foule de formes étonnantes et inutiles, pour le seul plaisir de les inventer et de les donner à voir aux spectateurs, selon une logique de dépense sans compter, sans retenue.
Motin est émerveillé par la mobilité universelle : plumes multicolores, papillons aux ailes irisées, miroitements du soleil qui joue sur l’eau ou sur les nuages constituent autant d’emblèmes joyeux d’une folle danse du réel à laquelle le poète s’abandonne avec délices. Son ambition n’est en rien une description soucieuse d’épuiser la réalité « toujours mouvant[e] », mais seulement une esquisse destinée à en capter quelque vibration sur le papier, une tentative pour capter le bonheur de l’instant, pour saisir l’être dans sa ténuité, dans le seul frémissement de son apparence, et tenter d’en happer, à la faveur d’un vers, la vérité fugace. Ce poème, au moment même où il se propose de faire du scintillement éphémère le lieu d’une épiphanie du réel, et tente de rendre dans les mots, sans la pétrifier, la mobilité indéfinie du monde, nous laisse entendre la vanité inaccessible de cette folle aspiration.

Tout le projet poétique baroque consiste dans la tentative pour saisir ces mouvements insaisissables, ces tremblements à peine perceptibles et menacés d’une dissolution et d’une disparition prochaine. Les poètes ne puisent pas seulement dans cet arsenal de motifs comme dans des symboles à leur disposition : ils leur servent à saisir la poésie de l’instant, la vibration de l’éphémère, l’insaisissable de la sensation évanescente.

Le monde baroque n’est pas un monde stable, ordonné, équilibré, durable, il est, ici une fête perpétuelle où triomphe l’imagination – le maître mot est celui de variété et de diversité, cette « diversité » dont La Fontaine disait qu’elle était « sa devise ».

Pierre-Paul Rubens, Paysage avec arc-en-ciel

Motin et les écrivains de « l’ inconstance blanche » se plongent avec jubilation dans le fleuve du devenir, « s’y plaisent, s’en grisent et s’en enchantent » ; ils savourent cet univers de flammes et de bulles, où courent les nuages, où scintillent les lucioles, où resplendissent de merveilleux arcs en ciel, symboles heureux d’une existence aussi brillante qu’éphémère. Drelincourt écrit dans son sonnet Sur l’arc-en-ciel (premier livre, sonnet 23) :

Le bel astre du jour, dans le sein de l’orage,
Nous forme, tout à coup, ce lumineux tableau,
Et tout à coup, aussi, le couvrant d’un rideau,
Il dérobe à nos yeux son inconstant ouvrage.
 
De ce peintre brillant, la toile est le nuage
Ses rayons réfléchis lui servent de pinceau
Il prend pour ses couleurs l’or, l’azur, le feu, l’eau,
Et la vapeur commence et finit cette image.
 
Fragiles ornements, éclat faible et trompeur,
Passagères beautés, filles de la vapeur
Des faux biens d’ici-bas vous peignez l’inconstance.
 
Par les mêmes couleurs, et par les mêmes traits,
Vous imprimez la crainte, et donnez l’espérance,
Vous annoncez la guerre, et vous marquez la paix.

Laurent Drelincourt, est né en 1625 à Paris. Protestant, pasteur de La Rochelle pendant dix ans, il rentre ensuite à Paris où il fréquente la société littéraire de l’époque. Ce sont ses sonnets chrétiens qui contribuèrent à sa réputation de poète. Il finit sa vie à Niort, de nouveau chargé de fonctions pastorales, et continue de publier une poésie religieuse qui rencontre aussitôt son public. Il meurt en 1680.

Comme les sculpteurs, les poètes sont fascinés par l’eau coulante, dont les formes variées les fascine. Il faut faire ici une place particulière à l’eau vive, aux gerbes d’eau, torrents, rivières, fontaines jaillissantes, jets liquides qui retombent en écume. L’eau courante, malléable et protéiforme, miroitante, agitée de vibrations et des pommelures que lui confère le soleil et le vent, évoque la fluidité d’un réel fuyant, et la plasticité d’une existence « ondoyante et diverse ». Mlle de Scudéry décrit dans ses paysages ces « coquilles pleines d’eau, de grandeur inégale, qui s’épanchant l’une dans l’autre font voir cent torrents à la fois, qui retombent en écume dans une grande allée d’eau, d’où partent cinquante autre jets avec impétuosité. »

Jacob van Ruysdael, Paysage de montagne avec chute d’eau
Toile, 62,5 × 45,5 cm, entre 1670 et 1680 (Kunsthistorisches Museum, Vienne).

Le poète baroque, comme les peintres et les sculpteurs, se plaît à célébrer la fluidité du monde et le liquéfie à plaisir pour souligner son inconsistance ; pour Gombauld (1575-1666), comme pour tant d’autres, « le monde est une mer », séduisante et enchanteresse alors même qu’elle est périlleuse :

Je vogue sur la mer, où mon âme craintive,
Aux jours les plus sereins, voit les vents se lever.
Pour vaincre leurs efforts, j’ai beau les observer,
Ma force, ou ma prudence, est ou faible, ou tardive.
 
Je me laisse emporter à l’onde fugitive,
Parmi tous les dangers qui peuvent arriver,
Où tant d’hommes divers se vont perdre, ou sauver,
Et dont la seule mort est le fond, ou la rive.
 
Le monde est cette mer, où pour me divertir,
Dans un calme incertain, j’écoute retentir
Les accents enchanteurs des perfides Sirènes.
 
C’est lors que la frayeur me fait tout redouter,
Que je vois les écueils, que je vois les arènes,
Et le gouffre où le Ciel me va précipiter.

Jean Ogier de Gombauld (1588 - 1666), protestant, peu fortuné, fréquenta les salons littéraires du premier XVIIe siècle, en particulier la « Chambre bleue » de Mme de Rambouillet, qui était alors le rendez-vous de tous les beaux esprits mondains. Académicien respecté, il fut poète et dramaturge et, comme les auteurs dont nous avons déjà parlé, tomba longtemps dans l’oubli, où, pour dire vrai, il reste encore très enseveli aujourd’hui, malgré la thèse que lui consacra Lydie Morel en ... 1910.

Le poème présente au sens propre, en apparence, les dangers d’un voyage sur la mer, inconstante, variable, périlleuse du fait de son instabilité. Puis la volte révèle la métaphore : la mer, c’est le monde, beau et séduisant comme l’océan, mais tout aussi dangereux pour l’âme : l’image du gouffre marin, lors d’une chute étonnante, vient fusionner avec le gouffre de feu infernal.

 3.2.2.2. « L’inconstance, durable même en son changement » : intermittences du cœur

En cet âge d’incertitude, le cœur flotte aussi bien que le réel : héros de roman et personnages de théâtre, toujours amoureux et souvent infidèles, se fuient et se poursuivent, incertains parfois du penchant de leur propre cœur. L’influence de Montaigne est ici prépondérante : l’auteur des Essais a enseigné que le moi n’est pas une substance durable, qu’il est lui aussi frappé par l’incertitude généralisée qui, à la fin du XVIe siècle, a déstabilisé le socle des savoirs et rendu le monde précaire. Étienne Durand (1585-1618), après Montaigne, insiste dans ses « Stances à l’inconstance » sur l’impermanence de l’esprit humain, changeant et mobile, incapable d’aucune suite dans ses idées, d’aucune fidélité à ces engagements :

Notre esprit n’est que vent, et comme un vent volage,
Ce qu’il nomme constance est un branle rétif :
Ce qu’il pense aujourd’hui demain n’est qu’ombrage,
Le passé n’est plus rien, le futur un nuage,
Et ce qu’il tient présent il le sent fugitif.
 
Je peindrais volontiers mes légères pensées,
Mais déjà le pensant mon penser est changé,
Ce que je tiens m’échappe, et les choses passées,
Toujours par le présent se tiennent effacées,
Tant à ce changement mon esprit est changé.

L’homme baroque n’existe que dans une succession d’instants discontinus et fragmentés dans le temps. Aussi, l’idée même de fidélité n’a pas de sens : le désir est mobile, parce que moi-même suis mobile ; l’être que je suis aujourd’hui est différent de celui que j’étais hier : pourquoi serais-je fidèle, alors que je ne suis plus le même, alors que ce mot même de moi recouvre une réalité chancelant et multiforme ? Les amoureux baroques savent que l’amour ne peut pas durer, pour la raison qu’on ne saurait persister longtemps dans son être. La Roque (1551-1611) recourt à l’image de Protée, dieu grec des métamorphoses dont Rousset fit depuis un emblème du baroque : « Car le temps nous abuse en forme d’un Protée ».

La grande figure de l’inconstance, comme l’ont noté Jean Rousset ou Gérard Genette, est Hylas, l’un des principaux protagonistes de L’Astrée d’Honoré d’Urfé (1607). Le thème du « change » est l’un des premiers à se mettre en place dans ce long roman pastoral : « De sorte que si l’on vit depuis quelques changements entre eux [Astrée et Céladon], il faut croire que le Ciel le permit, seulement pour faire paraître que rien n’est constant que l’inconstance, durable même en son changement. »

Si Céladon et Astrée déplorent la trahison, feinte ou supposée, de l’être qui leur est cher, Hylas, en revanche, Camarguais beau parleur, se grise du changement et vole avec délices et ivresse de maîtresse en maîtresse ; il fait ostensiblement profession de sa légèreté et, provocateur, il chante sa « chanson de l’incons­tant » devant Laonice, qui nourrit pour Tircis un amour mal­heu­reux remontant à l’enfance :

Si l’on me dédaigne, je laisse
La cruelle avec son dédain,
Sans que j’attende au lendemain
De faire nouvelle maîtresse ;
C’est erreur de se consumer
À se faire par force aimer.

L’inconstance est, selon Hylas, la grande loi de la nature et le secret de la beauté du monde ; elle autorise dès lors toutes ses infidélités sentimentales :

La nature en changeant se rend belle çà-bas.
Rien n’est en l’univers, qui ne change de même :
Et voyant tout changer, ne changerai-je pas ?

En faisant à toutes l’hommage de son cœur, Hylas est bien convaincu de se conformer à des principes dictés non par la morale, mais par la nature, quand bien même l’impératif philosophique du sequi naturam devrait recevoir chez lui une interprétation toute personnelle ; en suivant son « humeur », explique-t-il en effet, il se contente de rendre à la beauté les tributs où la nature l’oblige : « Je ne me suis jamais trop enquis si je faisais bien ou mal d’aimer comme j’ai fait, j’ai suivi les mouvements de mon humeur, et crois bien qu’elle n’a jamais dû être condamnée, puisqu’elle a parfaitement imité la nature, qui périrait plutôt que de demeurer en un même état. » La fidélité, selon lui, ne rend si tristes les bergers du Forez que parce qu’elle est anti-naturelle ; aussi convient-il de la fuir pour ne pas s’attirer le châtiment légitime qu’entraîne la transgression du seul précepte universel, celui du « change » :
« Ce qui m’a quelquefois fait résoudre plus facilement à changer a été la considération que j’ai faite sur la vie de ces amants qui, comme Céladon et Silvandre, ont tâché d’acquérir le surnom de fi­dèles, car je les ai toujours vus si misérables que j’ai cru qu’Amour les punissait de leur constance comme d’un crime que je devais éviter. »

L’attitude d’Hylas procède moins de l’insouciance que d’un art de vivre et de se rendre heureux fondé sur l’observation du monde comme il va. Doué d’une joyeuse humeur, il incarne ainsi mieux que tout autre cette « inconstance blanche » jubilatoire dont Rousset fait une des modalités de la versatilité baroque, « le prince de l’inconstance […] l’amant de toutes, le don Juan sans tragique, l’homme aux cent masques […] changeant d’amour chaque matin, ses amours sont les vêtements qui le déguisent ».
Pour beaucoup de lecteurs au XVIIe siècle, Hylas sera le vrai héros de L’Astrée, et le symbole de l’incapacité humaine à persister dans ses sentiments.

 3.2.2.3. Textes complémentaires

INCONSTANCE
Je veux dans un tableau la Nature pourtraire,
J’y peindrai la Fortune et le change ordinaire
De tout ce qui se voit sous la voûte des cieux,
L’Amour y sera peint d’une forme nouvelle,
Non comme de coutume avec une double aile,
Je lui en donne autant comme Argus avait d’yeux.
 
L’on y verra la mer et les ondes émues,
L’art avec ses éclairs, son tonnerre et ses nues,
Le feu prompt et léger vers le ciel aspirant,
Girouettes, moulins, oiseaux de tous plumages,
Papillons, cerfs, dauphins, et des conins sauvages
Qui perdent de leurs trous la mémoire en courant.
 
Des fantômes, des vents, des songes, des chimères,
Sablons toujours mouvants, tourbillons et poussières
Des pailles, des rameaux, et des feuilles des bois,
Et si je le pouvais, j’y peindrais ma pensée,
Mais elle est trop soudain de mon esprit passée,
Car je ne pense plus à ce que je pensais.
 
Je veux qu’en ce tableau soit ma place arrêtée,
Auprès de moi tirés Achelois et Prothée,
Faisant comme semblant de me céder la leur,
Et lors si de mon cœur apparaît la figure,
C’est trop peu de couleurs de toute la peinture,
À peindre sa couleur qui n’a point de couleur.
 
Si c’est un astre d’or qui me fait variable,
J’aime de ses regards l’influence agréable,
Et ne m’aimerais pas si j’étais autrement ;
Mon esprit est léger, car ce n’est rien que flamme,
Et si pour tout le monde il n’est qu’une seule âme,
L’Âme de tout le monde est le seul mouvement.
 
Aussi n’est-ce que fable et que vaine parole
De dire qu’il y ait je ne sais quel Æole
Qui enferme le vent et lui donne la loi ;
Si dedans quelque lieu un tel esprit s’arrête,
Ce n’est point autre part sinon que dans ma tête,
Et les dieux n’ont point fait d’autre Æole que moi.
 
Pierre Motin (vers 1566-vers 1610), Le Cabinet des Muses, Rouen, 1619.
Stances à l’Inconstance
 
Esprit des beaux-esprits, vagabonde Inconstance,
Qu’Éole roi des vents avec l’onde conçut
Pour être de ce monde une seconde essence,
Reçois ces vers sacrés à ta seule puissance,
Aussi bien que mon âme autrefois te reçut.
 
Déesse qui partout et nulle part demeure,
Qui préside à nos jours et nous porte au tombeau,
Qui fais que le désir d’un instant naisse et meure,
Et qui fais que les cieux se tournent à toute heure,
Encor qu’il ne soit rien ni si grand, ni si beau.
 
Si la terre pesante en sa base est contrainte,
C’est par le mouvement des atomes divers,
Sur le dos de Neptun’ ta puissance est dépeinte,
Et les saisons font voir que ta majesté sainte
Est l’âme qui soutient le corps de l’univers.
 
Notre esprit n’est que vent, et comme un vent volage,
Ce qu’il nomme constance est un branle rétif,
Ce qu’il pense aujourd’hui, demain n’est qu’un ombrage,
Le passé n’est plus rien, le futur un nuage,
Et ce qu’il tient présent, il le sent fugitif.
 
Je peindrais volontiers mes légères pensées,
Mais déjà le pensant, mon penser est changé,
Ce que je tiens m’échappe, et les choses passées
Toujours par le présent se tiennent effacées,
Tant à ce changement mon esprit est rangé.
 
Ainsi, depuis qu’à moi ta grandeur est unie,
Des plus cruels dédains j’ai su me garantir,
J’ai gaussé les esprits dont la folle manie
Esclave leur repos, sous une tyrannie,
Et meurent à leur bien pour vivre au repentir.
 
Entre mille glaçons je sais feindre une flamme,
Entre mille plaisirs je fais le soucieux,
J’en porte une à la bouche, une autre dedans l’âme,
Et tiendrais à péché si la plus belle dame
Me retenait le coeur plus longtemps que les yeux.
 
Donque fille de l’air de cent plumes couverte,
Qui de serf que j’étais m’a mis en liberté,
Je te fais un présent des restes de ma perte,
De mon amour changé, de sa flamme déserte,
Et du folâtre objet qui m’avait arrêté.
 
Je te fais un présent d’un tableau fantastique,
Où l’amour et le jeu par la main se tiendront,
L’oubliance, l’espoir, le désir frénétique,
Les serments parjurés, l’humeur mélancolique,
Les femmes et les vents ensemble s’y verront.
 
Les sables de la mer, les orages, les nues,
Les feux qui font en l’air les tonnantes chaleurs,
Les flammes des éclairs plus tôt mortes que vues,
Les peintures du ciel à nos yeux inconnues,
À ce divin tableau serviront de couleurs.
 
Pour un temple sacré je te donne ma Belle,
Je te donne son coeur pour en faire un autel,
Pour faire ton séjour tu prendras sa cervelle,
Et moi je te serai comme un prêtre fidèle
Qui passera ses jours en un change immortel.
 
Étienne Durand (1586-1618)
Sur l’arc-en-ciel
 
Le bel astre du jour dans le sein de l’orage
Nous forme tout-à-coup ce lumineux tableau,
Et, tout-à-coup, aussi, le couvrant d’un rideau,
Il dérobe à nos yeux son inconstant ouvrage.
 
De ce peintre brillant, la toile est le nuage ;
Ses rayons réfléchis lui servent de pinceau ;
Il prend pour ses couleurs, l’or, l’azur, le feu, l’eau,
Et la vapeur commence à finir cette image.
 
Fragiles ornements, éclat faible et trompeur,
Passagères beautés, filles de la vapeur,
Des faux biens d’ici-bas vous peignez l’inconstance.
 
Par les mêmes couleurs et par les mêmes traits,
Vous imprimez la crainte, et donnez l’espérance,
Vous annoncez la guerre, et vous manquez la paix.
 
Laurent Drelincourt (1626-1681), Sonnets chrétiens

Notes

[1Voir au bas de la présente page l’intégralité du texte

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