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2.2.1 Première école de Fontainebleau

Le retard culturel de la France du XVe siècle est considérable : notre pays a tout ignoré du vent de nouveautés dans tous les domaines qui a traversé l’Italie du Quattrocento dans les arts, les lettres et les sciences. Aussi, quand, au sortir de la guerre de Cent ans et à la faveur des guerres d’Italie, la France découvre enfin la Renaissance, celle-ci a non seulement déjà donné ses plus grands chefs-d’oeuvre, mais elle est quasiment terminée. Les artistes explorent désormais d’autres voies, celles du maniérisme.

Une autre raison explique cette identité immédiatement maniériste de la Renaissance française : l’influence italienne est contemporaine d’un sentiment de crise fortement marqué, dont on a vu qu’il constituait un terreau propice à l’émergence de l’esthétique maniériste. Géralde Nakam écrit ainsi :

Revenons à l’Histoire. La crise est en France multiple, elle va en empirant tout au long du siècle. Il suffit de rappeler certains épisodes : la prison du roi François Ier en Espagne ; les persécutions et les bûchers à l’aube de l’humanisme français, dont sont victimes non seulement les Réformés, mais les humanistes et les dissidents ; la frénésie des haines religieuses jusqu’au massacre officiel de 1572 ; puis « le chaos » instauré et entretenu par les ultra-catholiques et par la Ligue à la solde de l’Espagne. La société est bouleversée. L’instabilité dans tous les domaines est permanente. Un sentiment de décadence est ressenti par tous. [1]

C’est ainsi une Renaissance déjà maniériste qui arrive en France dans les premières décennies du XVIe siècle.

 2.2.1.1. Un vent d’Italie

La Renaissance italienne, on le sait, va s’exporter en France, tardivement en particulier par le vecteur des guerres d’Italie : à partir de 1494, les rois de France (Charles VIII, puis François Ier et Henri II) vont lancer le pays dans d’épuisantes campagnes pour faire valoir leurs prétentions sur le duché de Milan ou le royaume de Naples. Ces guerres se solderont par de fracassantes victoires (Marignan, 1515) et d’humiliantes défaites (Pavie, 1525), mais l’essentiel n’est pas là : ce qui compte, c’est que le pays, occupé pendant un siècle par l’épuisante guerre de Cent Ans, ne s’était pas aperçu de la révolution culturelle qui affectait l’Italie du Trecento et du Quattrocento, depuis longtemps sortie des ténèbres médiévales alors que la France y était encore plongée ; l’esthétique française, au XVe siècle, c’était encore les derniers feux du gothique :

  • gothique flamboyant en architecture, qui porte, en termes de raffinement, à ses limites extrêmes les principes du gothique (Saint-Eustache, Saint Etienne du Mont et Saint-Germain-l’Auxerrois)
  • gothique international en peinture.

Et tout à coup, à la faveur des guerres d’Italie, l’aristocratie française découvre d’un coup, ébloui, la Renaissance. François Ie (qui règne entre 1515-1547), on le sait aussi, vouera à l’Italie une vive admiration, s’entourera d’artistes italiens – Léonard finit sa vie au Clos-Lucé, près d’Amboise (1519) – et imposera un style de vie à l’italienne à la cour. Pierre Lescot donne la pleine mesure de cette influence dans la cour carrée du Louvre (1546), où triomphent les valeurs de symétrie et d’équilibre.

 2.2.1.2. Une Renaissance maniériste

L’importation tardive de la Renaissance en France fait que, pour une large part, c’est une Renaissance déjà pour une large part teintée de maniérisme qui franchit les Alpes avec les armées royales [2]. Ce maniérisme à la française triomphe dans le chantier de Fontainebleau, et l’Ecole picturale qui lui sera associée : après le temps des châteaux de la Loire, caractéristique de la première Renaissance, François Ier compte se rapprocher de Paris et y fixer quelque peu sa cour (qui ne cessera toutefois pas totalement d’être itinérante). C’est à ce moment qu’il lance le projet du château de Fontainebleau (1528). Le sac de Rome, de ce point de vue, sera un bienfait : il met à disposition des ambitions royales françaises une « diaspora » d’artistes chassés par la guerre.

La première école de Fontainebleau est ainsi constituée d’artistes italiens invités en France par François Ier pour décorer le château de Fontainebleau, en particulier Rosso Fiorentino (Florence en 1494 - Fontainebleau en 1540), auquel succède Primatice, assisté de Nicolò dell’Abbate. Ces peintres influencèrent de nombreux artistes français tels que Jean Goujon ou Antoine Caron. On associe parfois Benvenuto Cellini, Girolamo della Robbia et d’autres artistes invités par François Ier à l’École de Fontainebleau.

Illustrations

Château de Fontainebleau Château de Fontainebleau, galerie Henri II Château de Fontainebleau, galerie de Diane Château de Fontainebleau, plafond de la chapelle Château de Fontainebleau, chambre de la duchesse d'Etampes, par (...) Jacquemart de Hesdin, Annonciation, avant 1388, BNF Jacquemart de Hesdin, Portement de Croix, avant 1409, Musée du (...)

Notes

[1Géralde Nakam, « Montaigne maniériste », Revue d’histoire littéraire de la France, 1995, 11-12, p. 943.

[2Voir sur ce point Anthony Blunt, Art et architecture en France, 1500-1700, [1953], Macula, 1983 ; et R. E. Wolf, « La querelle des sept arts libéraux dans la Renaissance, la Contre-Renaissance et le Baroque », dans Renaissance, Maniérisme et Baroque, Actes de Tours, Vrin, 1972, p. 279.

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