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1.1.4. « Toutes disciplines sont restituées »

Les humanistes entrevoyaient, tout proches une restauration de l’harmonie antique, qui serait le gage d’une ère de paix et permettrait l’établissement d’une civilisation magnifique et policée, débarrassée de toute sauvagerie barbare, et fondée sur la restauration de l’harmonie antique, comme le montre la lettre de Gargantua à Pantagruel (Pantagruel, 1532) :

Très cher fils,

[…] Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées : grecque, sans laquelle c’est honte qu’une personne se dise savante, hébraïque, chaldaïque, latine ; les impressions tant élégantes et correctes en usance, qui ont eté inventées de mon âge par inspiration divine, comme à contrefil l’artillerie par suggestion diabolique. Tout le monde est plein de gens savants, de précepteurs très doctes, de librairies très amples, et m’est avis que, ni au temps de Platon, ni de Cicéron, ni de Papinian, n’était telle commodité d’étude qu’on y voit maintenant, et ne se faudra plus dorénavant trouver en place ni en compagnie, qui ne sera bien expolie en l’officine de Minerve. Je vois les brigands, les bourreaux, les aventuriers, les palefreniers de maintenant, plus doctes que les docteurs et prêcheurs de mon temps. Que dirai-je ? Les femmes et les filles ont aspiré à cette louange et manne céleste de bonne doctrine. Tant y a qu’en l’âge où je suis, j’ai été contraint d’apprendre les lettres grecques, lesquelles je n’avais contemnées comme Caton, mais je n’avais eu loisir de comprendre en mon jeune âge ; et volontiers me délecte à lire les Moraux de Plutarque, les beaux Dialogues de Platon, les Monuments de Pausanias et Antiquités de Athéneus, attendant l’heure qu’il plaira à Dieu, mon Créateur, m’appeler et commander issir de cette terre.
Par quoi, mon fils, je t’admoneste qu’emploies ta jeunesse à bien profiter en études et en vertus. »

Rabelais, Pantagruel, 1532.
Holbein, Thomas More (1527)
Toile conservée à New York (Collection Frick)

Grâce à l’imprimerie, et malgré le diabolisme des armes à feu, la renovatio des lettres et des arts se traduira, pensait-on, par l’avènement d’une ère de bonheur. L’humanisme fait ainsi de la culture la clef grâce à laquelle l’homme peut échapper à la misère de sa condition. Thomas More (1478-1535) a même dessiné, dans son Utopie, les contours de cette cité idéale.

Holbein, Utopia (1518)

Cette belle vision équilibrée va peu à peu se défaire, l’harmonie du monde va se déliter. La remise en cause de l’ancienne astronomie, et celle de la médecine, va miner cette conception millénaire sur laquelle on faisait reposer l’ordre et l’équilibre de l’univers. L’homme et le monde deviendront peu à peu des étrangers l’un pour l’autre : « le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » : un univers froid, vide, immense et incompréhensible, sans âme, destructeur ; l’homme y est perdu, écrasé par un monde à la fois aveugle et cruel, inhumain. C’est sur les ruines du classicisme de la Renaissance que le maniérisme et le baroque se développeront, en Italie à partir des années 1520, dans la seconde moitié du XVIe siècle en France.

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